New York, publié le 11 septembre 2012 – Dans pratiquement tous les autres pays du monde, un adolescent champion d’échecs, un prodige du judo national et une pianiste talentueuse seraient considérés comme des contributeurs de valeur pour leur société.
Pourtant, dans cet exemple, trois jeunes Iraniens se sont vus interdire de prendre part aux compétitions et de se produire aux plus hauts niveaux en raison de leur appartenance à la foi bahá’íe.
Le judoka Khashayar Zarei, le joueur d’échecs Pedram Atoufi et la pianiste Pegah Yazdani sont tous trois victimes de la politique systématique de l’Iran – explicitée dans un memorandum de 1991 approuvé par le gouvernement – pour « bloquer » le progrès et le développement des bahá’ís et « leur refuser tout accès à une position d’influence ».
L’histoire de Khashayar
Alors que l’Iran rapporte des Jeux olympiques de Londres 2012 une moisson de médailles, Khashayar Zarei, âgé de 19 ans, ne peut que rêver à ce qui aurait pu être.
Dans sa catégorie d’âge et de poids, Khashayar est l’un des judokas les plus doués de son pays. Mais il a été exclu de la compétition parce qu’il est bahá’í.
« Bien qu’en trois occasions je sois arrivé premier de ma catégorie en équipe nationale, du fait de mes convictions bahá’íes, on m’a interdit de participer aux Asian World competitions », a écrit Khashayar dans une lettre publiée par Human Rights Activists News Agency.
Pour ajouter à la déception de Khashayar, il a récemment été empêché de poursuivre ses études d’architecture à l’université de Chiraz à cause de ses convictions religieuses. Des fonctionnaires lui ont dit qu’ils avaient reçu des instructions concernant son exclusion par lettre confidentielle du ministère des Sciences, de la Recherche et de la Technologie. Cela fait également partie de la politique du gouvernement : dès qu’un étudiant est connu comme bahá’í, il doit être exclu.
Khashayar n’est pas le seul jeune Iranien dont les espoirs sont réduits à néant. Les formulaires d’admission pour les programmes destinés aux enfants talentueux exigent que le demandeur précise sa religion, permettant aux administrateurs de disqualifier les candidats bahá’ís ; il n’est pas possible de laisser la case vierge. Une bahá’íe – élève douée en deuxième année de lycée dans la ville de Sari – a été récemment exclue de son école pour élèves à haut potentiel. Deux autres étudiants se sont vus refuser l’opportunité de prendre part à une olympiade en sciences et en mathématiques réservée aux prodiges. À Téhéran, une étudiante bahá’íe exceptionnelle ayant atteint un haut niveau dans l’initiative technologique RoboCup n’a pas été autorisée à s’inscrire dans une école qui l’aurait préparée aux concours nationaux et internationaux. En 2008, la Communauté internationale bahá’íe a appris qu’un directeur d’école bienveillant avait expliqué aux parents d’un étudiant que tous les principaux des collèges de Marvdasht avaient reçu oralement des instructions pour donner aux étudiants de la « secte bahaiste » et des autres minorités seulement une note minimum aux examens scolaires – quel que soit leur niveau réel – pour les empêcher d’avoir le droit d’entrer dans les universités.
Champion d’échecs
Ce genre d’exclusion n’est pas nouveau. Après avoir gagné un concours national d’échecs en 1991 à l’âge de 16 ans, Pedram Atoufi a été informé qu’il ne pouvait pas représenter l’Iran au championnat d’échecs d’Asie parce qu’il était bahá’í.
À la suite de la Révolution islamique de 1979, les échecs ont été interdits en Iran pendant toute une décennie. C’est pourquoi quand Pedram a gagné le premier tournoi national junior dans son pays depuis 12 ans, il se réjouissait de pouvoir représenter son pays dans une compétition internationale.
Mais quand il s’est présenté pour obtenir son passeport, on lui a remis un formulaire et on lui a demandé d’indiquer sa religion.
« J’ai écrit bahá’í, a-t-il raconté. La personne qui s’occupait de ma demande a déclaré : « Si vous mettez bahá’í, ce n’est pas facile d’obtenir un passeport. »
Pedram a été informé que la seule possibilité pour lui était d’aller voir le président de la Fédération d’échecs d’Iran, qui pourrait lui permettre de se rendre à la compétition grâce à un visa d’équipe. Cependant, le président s’est mis en rage en apprenant que Pedram était bahá’í et il a envoyé une lettre aux membres de la Fédération dans chaque état pour dire que Pedram était exclu de tous les tournois officiels d’échecs. Cette année-là, personne n’a été envoyé pour représenter l’Iran au championnat d’échecs d’Asie.
L’exclusion de Pedram s’est assouplie peu à peu au cours des quatre années suivantes, en réduisant son interdiction de jouer aux seules compétitions internationales. Quand son équipe a gagné le championnat national en 1997, il a été remplacé et ses coéquipiers ont représenté l’Iran dans les étapes internationales.
Aujourd’hui, Pedram vit à Scottsdale en Arizona, où il dirige un club qui vise à cultiver un sens de l’unité à travers les échecs. Il ne peut pas retourner dans son pays natal ; un de ses amis proches, qui était allé au championnat d’échecs junior avec lui, n’est sorti de prison que récemment.
Pianiste en exil
L’impossibilité pour les bahá’ís d’accéder à l’enseignement supérieur s’applique aussi à d’autres formes d’enseignement artistique et professionnel.
Empêchée de suivre ses ambitions musicales en Iran, Pegah Yazdani est allée, toute seule, à Moscou en 1998 pour y étudier le piano. Elle a pleuré pendant tout le vol.
« Émotionnellement, c’était une période vraiment très difficile ; il fallait que je laisse tout le monde derrière moi, a-t-elle expliqué. En même temps, j’étais très enthousiaste parce j’allais réaliser mon rêve. »
Après cinq ans d’études, elle a obtenu son diplôme et est retournée en Iran dans sa famille, espérant jouer en public et ouvrir une école de piano.
Elle a obtenu un poste à temps partiel au conservatoire de Téhéran. Mais quand les employés ont dû remplir un formulaire leur demandant leur religion, Pegah a été renvoyée et il lui a été interdit de donner des cours de musique ou des récitals.
«S’ils voient le mot bahá’í, ils ne vous regardent même pas, ils rejettent simplement le formulaire», a-t-elle témoigné.
«Je savais que je ne serais pas capable de faire quoi que ce soit en Iran. Je ne pourrais pas y étudier. Je ne pourrais pas y travailler. Je ne pourrais pas y vivre normalement. »
Acceptée en 2007 au London College of Music and Media, Pegah a fait une maîtrise en « interprétation pianistique » et vit maintenant au Canada où elle est réellement impliquée dans la musique – se produisant en spectacle, enseignant le piano et accompagnant aussi des ballets.
Malgré ses épreuves, Pegah – âgée aujourd’hui de 36 ans – dit qu’elle aime toujours beaucoup son pays et souhaite pouvoir y retourner. Elle espère qu’un jour prochain les bahá’ís qui sont restés en Iran seront autorisés à apporter toute leur contribution au progrès du pays.
Bani Dugal, la principale représentante de la Communauté internationale bahá’íe aux Nations unies, a déclaré que la stratégie du gouvernement iranien envers les bahá’ís prive le pays du bénéfice d’une foule de talents et de capacités.
« Les moyens auxquels le gouvernement iranien a recours pour empêcher les jeunes bahá’ís d’accéder à l’enseignement supérieur sont devenus de plus en plus alambiqués et extrêmes, a-t-elle expliqué. Ces histoires sont les exemples pitoyables d’une campagne soutenue par l’État qui, à terme, ne fait que priver l’Iran des contributions précieuses et intéressantes qui pourraient être faites par quelques-uns des jeunes les plus doués et les plus brillants du pays. »