NEW YORK, le 30 mai 2014 – Dans ce monde de division et de conflit, il faut un courage particulier pour les personnes d’un groupe dominant pour rompre avec les codes et parler franchement au nom des opprimés, en particulier lorsque cela entraîne de grands risques personnels.
Des exemples, souvent négligés, peuvent être trouvés dans de nombreuses situations, comme lorsque les Albanais ont refusé de rassembler les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque deux prêtres italiens ont mis des orphelins de la minorité tutsi à l’abri du génocide au Rwanda dans les années 1990, lorsque des femmes musulmanes et chrétiennes ont négocié la libération des enfants pris en otage par un groupe de rebelles en Sierra Léone ou, plus récemment, quand un haut dignitaire religieux iranien a courageusement lancé un appel pour la coexistence avec les bahá’ís.
Ces exemples, ainsi que d’autres histoires de « valeur invisible », ont été mis en évidence le 15 mai, lors d’une manifestation qui a réuni des ambassadeurs des Nations unies, des universitaires, des fonctionnaires de l’ONU et des représentants de la société civile dans une discussion sur l’importance de l’action citoyenne en faveur de la liberté religieuse et de la prévention des crimes atroces.
« Les personnes dont il est question devraient devenir nos modèles, nos champions et les guides de nos actions », a déclaré Adama Dieng, le conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour la prévention du génocide. « Soyons inspirés par eux afin d’élever la voix et d’agir contre l’intolérance, la discrimination et la violence. »
Parrainé par deux comités d’ONG auprès des Nations unies, Unseen Valor: Acts of Interfaith Courage in the Promotion of Freedom of Religion or Belief (Valeur invisible : actes de courage interreligieux dans la promotion de la liberté de religion ou de la croyance) a eu lieu au bureau de la Communauté internationale bahá’íe à New York.
Bani Dugal, la présidente de Committee on Freedom of Religion or Belief (comité de l’ONG pour la liberté de religion ou de croyance), l’un des comités de parrainage, a déclaré que cet événement a été inspiré par les actions récentes de l’ayatollah Abdol-Hamid Masoumi-Tehrani, qui a offert publiquement aux bahá’ís du monde une calligraphie enluminée mettant en valeur un passage des écrits de Bahá’u’lláh, le fondateur de la foi bahá’íe.
« C’est un acte très courageux, compte tenu de la persécution systématique des bahá’ís en Iran », a déclaré Mme Dugal, qui est également la principale représentante de la Communauté internationale bahá’íe auprès de l’ONU.
« À l’ONU, les discussions à propos des droits de l’homme et, en particulier, de la liberté de religion ou de croyance, portent souvent sur le rôle des États membres et sur le droit international.
« Cependant, nous savons que l’action citoyenne est tout aussi importante dans le maintien des libertés, et cet événement vise à mettre en évidence les individus qui s’expriment, souvent au péril de leur vie, afin de faire preuve de solidarité envers les personnes en danger, et également d’inspirer et d’influencer autrui pour enrichir le milieu social d’unité et d’harmonie », a précisé Mme Dugal.
Ferit Hoxha, le représentant permanent de la République d’Albanie à l’Organisation des Nations unies, a raconté l’histoire dramatique de la manière dont les Albanais, en tant que peuple et nation, ont accueilli et protégé des Juifs de la persécution nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Et ce malgré l’occupation allemande et les grands risques encourus par tous ceux qui leur offraient un abri.
« Il y a eu quelques pays en Europe qui ont résisté et ont sauvé des milliers de Juifs », a précisé l’ambassadeur Hoxha.
Mais ce qui rend l’histoire albanaise unique, a-t-il ajouté, c’est que « tous les membres de la communauté juive vivant en Albanie ont survécu à l’Holocauste ».
« Cas unique parmi les pays occupés, l’Albanie est devenue un sanctuaire juif et il y avait dix fois plus de Juifs dans ses frontières à la fin de la guerre qu’à son début. »
« Il n’est pas nécessaire de beaucoup d’imagination ou d’efforts pour comprendre que cette époque et ces années étaient sombres pour les Albanais eux-mêmes. Les risques étaient grands, les vies étaient partout menacées et cacher des Juifs sous l’occupation nazie était tout simplement une menace de mort pour toute la famille. »
Jacqueline Murekatete a raconté une histoire personnelle : comment, avec l’aide de deux courageux prêtres italiens à l’orphelinat St Antoine à Nyanza, au Rwanda, elle a survécu au génocide de 1994, au cours duquel plus d’un million de Tutsis ont été tués par des membres de la majorité hutue. Cependant, ses parents et tous ses frères et sœurs n’ont pas survécu.
« Plusieurs fois, ces deux prêtres italiens ont été menacés », a témoigné Mme Murekatete, qui est une militante des droits de l’homme internationalement reconnue et la fondatrice de Jacqueline’s Human Rights Corner(Coin des droits de l’homme de Jacqueline), un programme pour la prévention du génocide et l’éducation.
« Ils ont été victimes de violences physiques. Mais à chaque fois que leur ambassade les a appelés en leur proposant d’être évacués, ils ont refusé. Ils ont répondu à l’ambassade qu’à moins de pouvoir emmener les enfants, comme moi, ils ne partiraient pas, a-t-elle expliqué. Et de cette façon, plus de 300 enfants tutsis ont survécu. »
William Vendley, le secrétaire général de Religions for Peace International (Religions pour la paix), une organisation internationale, a raconté un certain nombre d’histoires de chefs religieux qui, dans le monde entier, travaillent dans les coulisses pour apaiser les conflits religieux ou ethniques.
En Sierra Leone, au cours d’une guerre civile brutale qui a duré de 1991-2002, un groupe de femmes musulmanes et chrétiennes a intrépidement négocié la libération de 50 enfants prisonniers détenus par le Revolutionary United Front (Front révolutionnaire uni), a déclaré M. Vendley, qui est également président du Comité des ONG religieuses auprès de l’ONU, comité qui co-parrainait l’événement.
« Elles sont allées dans la brousse complètement désarmées, a-t-il expliqué. Et leur force était d’être des femmes et toutes des mères.
« Cet acte de courage a permis d’ouvrir la porte à des accords de paix qui ont finalement mis fin à la guerre, en 2002.
« Je suis de ceux qui croient que si ces femmes, musulmanes et chrétiennes ensemble, n’avaient pas fait ce qu’elles ont fait, le chemin n’aurait pas été aussi direct vers une solution ultime. »
Dans le récit de ces histoires, de nombreux orateurs ont déclaré que ce sont les actes de courage de tels individus ou de petits groupes qui ont rompu les barrières de la haine ou de l’intolérance qui tentent de dépouiller certains groupes de leur humanité.
Dans ce contexte, le conseiller spécial Dieng a déclaré qu’il saluait « la sagesse et le courage » de l’ayatollah Tehrani.
« Je m’associe à son appel pour « la coexistence religieuse » avec les bahá’ís iraniens, » a indiqué M. Dieng, disant qu’il « nous montre que l’héritage pacifique de l’islam n’est pas seulement de l’histoire : il doit aussi être l’avenir.
« Le courage est comme une fleur qui s’épanouit dans le béton. Il peut favoriser la dignité humaine en remettant en question les stéréotypes et les stigmatisations et – dans les meilleurs des cas – sauver des vies. »
De même, Borislava Manojlovic, une experte dans l’analyse et la résolution des conflits à Seton Hall University, faisant référence, de façon générale, à de telles actions, a déclaré que lorsque des individus ou des dirigeants « s’écartent de la norme », cela peut conduire à « diverses conséquences transformatrices en faveur de la paix ».
Elle a parlé de la façon dont des individus avaient donné asile à des musulmans dans le récent conflit en République centrafricaine. « Choisir la paix au milieu d’un conflit peut être dangereux », a précisé Mme Manojlovic, notant que les membres de la majorité risquent d’être rejetés par leurs propres communautés.
« Mais une paix véritable et durable se produit quand une personne dans le système est capable d’imaginer une manière de créer une discontinuité dans les cercles vicieux de la vengeance (qui sous-tendent souvent de tels conflits) et d’agir sur elle, a déclaré Mme Manojlovic. C’est un choix qu’un individu, un groupe, ou un État, fait. »