Ce texte n’engage que son auteur et ne représente pas une position officielle des bahá’ís de France
Arrêtez- vous !
Arrêtez- vous !!
J’essaie, j’essaie et ils ne veulent pas s’arrêter.
Pendant quelques instants, pendant quelques secondes qui seront mon éternité, j’aimerais que ça s’arrête.
Arrêtez- vous !! Asseyez- vous. Entrez, entrez dans mon arabesque.
Asseyez- vous et entrez dans ma vie par mon chant. Asseyez- vous et entrez…
J’ai deux cœurs glacés par deux avenirs qui me brûlent. J’ai deux enfants et je les aime. Et ils m’aiment et ils ne s’aiment. Et ils me demandent de choisir. Ils sont passion et fascination pour tous. Ils sont amour et souffrance pour moi.
J’étais jeune quand Mohammed est né. J’étais belle, noble, mon regard persan était admiré, envié, respecté. On me connaissait, on me recherchait. Je m’ennuyais. Dès que j’ai su qu’il allait arriver, je l’ai tout de suite chéri. J’ai été une bonne mère avec mon enfant. Oh, j’ai sans doute été un peu maladroite au début, sans doute un peu trop sévère parfois aussi. Il a été élevé avec ses cousins, Yaacov, Zarathushtra, et Jean-Baptiste. Il était heureux, ils jouaient souvent ensemble à reconstituer des croisades, des guerres, des épopées. Mais je lui ai aussi appris à être bon et généreux, et obéissant à ma volonté. Je lui ai appris à prier, à faire l’aumône, à visiter la terre de ses aïeux à la Mecque. Il a grandi, et puis il s’est affranchi. Ma vie est redevenue vide et je m’ennuyais de nouveau.
Un miracle, un second miracle s’est produit…un autre fils. Baha, ma gloire. La Gloire. Je me suis sentie bénie. Je me pensais trop âgée et soudain, je me suis sentie accomplie. Cela devait être. Je n’ai jamais vu d’enfant aussi loyal, aussi serviable, aussi pacifiste. Mon fils ! Mon fils, je lui ai appris que les hommes et les femmes étaient égaux, je lui ai dit qu’il devait être éduqué, qu’il devait rechercher sa vérité, qu’il était l’égal de son frère et de ses cousins.
Cette félicité que j’aurais voulue intemporelle fut de courte durée. Baha était plein de promesses et ma fierté. Il était admiratif de son grand frère. Mais Mohammed, peut-être trop gâté, trop jaloux ou trop habitué à être mon fils unique, le sceau de la famille n’a pas pu supporter longtemps Baha. Pas de soumission devant la gloire. Et il s’est mis à le détester et à l’attaquer. J’ai d’abord cru que c’était une rivalité fraternelle comme beaucoup d’autres, mais cela n’a fait que s’accroître et devenir insupportable.
On m’a dit…tout le monde m’a dit, que ça arrive parfois, qu’il faut être patiente. Je suis patiente de 166 années et je ne suis plus qu’une sécheresse d’espoirs. Le temps a coulé autour de moi, ma peine est restée la même. Intemporelle elle, par contre. Mohammed, lui qui était né pour incarner la douceur de l’orient n’apparaît plus que comme un impitoyable despote. Mon foyer, mon cœur, mon âme ne connaissent plus la sérénité ni la paix.
J’ai deux enfants et ils me demandent de choisir. Et cela, je ne puis m’y résoudre. J’ai deux enfants et la paix ne semble pouvoir revenir que si je chasse Baha de ma vie, hors de mes frontières de mère. La paix ne semble pouvoir revenir que si Baha laisse mourir sa volonté en celle de Mohammed.
Je ne puis m’y résoudre. Quand Baha est enchaîné, c’est Mohammed qui se meurtrit en lui-même, et c’est la chair de ma chair qui se meurt.
Je n’y tiens plus. Je ne le supporte plus.
Ils me demandent de choisir et cela, je ne le puis.
166 ans que mon cœur et mon âme n’ont pas de repos.
Asseyez-vous, et entrez. Entrez et priez pour moi, pour l’Islam, pour la Foi baha’ie,
L’Iran.
Carine D.M. pour Ferey B. – Mars 2009