PARIS, le 22 octobre 2024 – Un groupe de 18 rapporteurs spéciaux et d’experts du groupe de travail des Nations unies a publié un rapport commun accusateur, dénonçant la République islamique d’Iran pour la récente augmentation des attaques contre les bahá’íes, qui font face à une double persécution, en tant que femmes et en tant que bahá’íes.
« Nous sommes très préoccupés, déclarent les experts de l’ONU, par ce qui semble être, dans tout le pays, une augmentation du ciblage systématique des iraniennes appartenant à la minorité religieuse bahá’íe, notamment par des arrestations, des convocations pour des interrogatoires, des disparitions, des perquisitions de domicile, des confiscations de biens personnels, des limitations de liberté de mouvement ainsi que des privations de libertés longues et successives. »
Cette déclaration percutante a été appuyée cette semaine par la condamnation de dix femmes bahá’íes à Ispahan à un total cumulé de 90 ans de prison.
Fin juillet, les 18 experts ont envoyé leur lettre au gouvernement iranien, détaillant les violations des droits des femmes bahá’íes et demandant une réponse des autorités. Les autorités iraniennes avaient 60 jours pour répondre avant que la communication ne soit rendue publique. Aucune réponse n’ayant été reçue, les experts ont récemment rendu publique leur lettre sur la persécution continue de la communauté bahá’íe par le gouvernement iranien.
Les rapporteurs spéciaux des Nations unies et les membres des groupes de travail des Nations unies sont des experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour enquêter, surveiller et rapporter les violations spécifiques des droits de l’homme dans le monde entier. Les experts ont des missions concernant les droits des femmes et des filles, la liberté de religion ou de croyance, la liberté de réunion pacifique, l’éducation, la liberté d’opinion et d’expression, et bien d’autres encore, ainsi que des missions spécifiques à certains pays, comme la République islamique d’Iran, qui suscitent des préoccupations particulières.
Les femmes bahá’íes représentent les deux tiers de tous les bahá’ís persécutés en Iran à l’heure actuelle, notamment par la détention arbitraire, le refus d’accès à l’éducation, les perquisitions à domicile, la séparation d’avec les familles, les assignations à comparaître, les procès sur la base d’accusations criminelles sans fondement et des années d’emprisonnement injuste. Cette statistique souligne également l’impact disproportionné de la persécution sur les femmes bahá’íes dans le pays.
« Lorsque les femmes bahá’íes sont attaquées, ce sont des familles entières qui souffrent de cette injustice », déclare Simin Fahandej, représentante de la Communauté internationale bahá’íe (BIC) auprès des Nations unies à Genève. « Nous l’avons encore vu cette semaine, avec la condamnation cruelle et totalement injuste de dix bahá’íes innocentes, à chacune cinq ou dix ans de prison. Les enfants de certaines de ces femmes, comme tant d’autres, seront désormais arrachés à leur mère. Des épouses, des filles et des sœurs sont séparées de leurs proches sans autre raison que leur conviction religieuse. »
« Depuis le soulèvement de 2022 en Iran, la République islamique a intensifié sa répression, particulièrement à l’égard des femmes », a ajouté Mme Fahandej. « Les femmes bahá’íes, déjà victimes de persécutions en raison de leur appartenance à la foi bahá’íe, subissent depuis des décennies des arrestations arbitraires, des emprisonnements, des refus d’accès à l’éducation et au travail dans le secteur public, ainsi que d’autres formes de pressions. Ces politiques discriminatoires, qui les visent tant en raison de leur genre que de leur foi, exacerbent davantage leur situation. La condamnation de ces dix dernières femmes à des peines de prison, simplement pour leurs croyances, illustre de manière alarmante la réalité des préoccupations exprimées par les experts des Nations unies.»
« Ces 18 experts des Nations unies, représentant, chacun dans des domaines spécifiques, la conscience collective de l’ensemble de l’humanité, ont maintenant appelé ensemble le gouvernement iranien à mettre fin à ses exactions contre les femmes bahá’íes, et en fait contre tous les bahá’ís. Il s’agit là d’un signal fort adressé aux autorités iraniennes, leur indiquant qu’elles ne peuvent plus dissimuler leurs actions odieuses contre les bahá’ís derrière une propagande haineuse et une désinformation au sujet de leur communauté. Aujourd’hui, déclare Mme Fahandej, il est devenu évident pour la communauté internationale que les bahá’ís d’Iran sont persécutés pour une seule raison : leurs croyances, et cette déclaration de 18 personnes exceptionnelles, chacune choisie par les Nations unies comme expert en droits de l’homme, est un témoignage de cette réalité. »
Exigeant des mesures immédiates de la part du gouvernement iranien, les experts des Nations unies ont déclaré que toutes les femmes bahá’íes devaient être libérées sans délai, que les prisonniers devaient bénéficier immédiatement de soins médicaux complets et que des mécanismes devaient être mis en place pour que les auteurs de violations des droits de l’homme à l’encontre des femmes bahá’íes rendent compte de leurs actes.
Les experts se sont également déclarés « préoccupés par le fait que les autorités iraniennes continuent de criminaliser la liberté de religion ou de croyance, la liberté d’opinion et d’expression et le droit de participer à la vie culturelle des membres de la minorité religieuse bahá’íe ».
« La nature systématique de ces violations représente un modèle continu de discrimination ciblée et de persécution de cette communauté et de ses membres sur la base de leur affiliation et de leur identité religieuses, ont ajouté les experts de l’ONU. Nous sommes préoccupés par le fait que le groupe d’individus en question subit une double persécution : en tant que femmes et en tant que membres de la minorité religieuse bahá’íe. De plus, l’effet socialement très négatif que produisent sur l’exercice de leurs droits et de leur liberté les accusations portées contre d’autres membres de la minorité religieuse bahá’íe nous préoccupe aussi. »
Cette intervention historique fait suite à deux rapports de la Mission d’établissement des faits des Nations unies sur l’Iran, mission établie pour enquêter sur les violations des droits de l’homme à l’encontre des bahá’ís à la suite du soulèvement de 2022. Ces rapports ont donné de nombreux détails sur l’impact de la répression gouvernementale sur les femmes bahá’íes et sur la communauté bahá’íe dans son ensemble. Ils qualifient les bahá’ís de « minorité religieuse la plus persécutée en République islamique d’Iran » et ajoutent que depuis les manifestations, les discours de haine à l’encontre des bahá’ís se sont multipliés et que la persécution des femmes bahá’íes s’est accrue.
La persécution des bahá’ís par la République islamique d’Iran, qui dure depuis 45 ans, a également été décrite en détail dans un rapport publié en avril 2024 par Human Rights Watch. Intitulé The Boot on My Neck (La botte sur mon cou), il établit que le traitement réservé aux bahá’ís par le gouvernement iranien constitue une persécution, c’est-à-dire un crime contre l’humanité.
Les femmes bahá’íes sont exposées aux mêmes pressions que toutes les femmes en Iran, mais en plus, elles se voient refuser l’accès à l’éducation, à l’emploi public, et elles sont arrêtées et emprisonnées pour adhérer à la religion bahá’íe.
« Aucun être humain ne devrait être persécuté en raison de son sexe, de ses croyances, de sa race ou de son appartenance ethnique, déclaré Mme Fahandej. Autonomiser les femmes rend la société plus pacifique, plus stable, plus prospère, c’est ce qu’il faut faire. Malheureusement, en Iran, non seulement les femmes subissent des pressions de toutes parts, mais celles qui appartiennent à des minorités religieuses, telles que les bahá’íes, sont confrontées à une double discrimination, qui vient s’ajouter aux pressions sociales et économiques auxquelles elles et leurs familles sont déjà confrontées. Le nouveau président iranien, Masoud Pezeshkian, a commencé son mandat en promettant « l’égalité pour tous ». Il doit maintenant démontrer que ses paroles s’appliquent également aux bahá’ís, qui supportent toutes les violations flagrantes des droits de l’homme imaginables et qui méritent de vivre en tant que citoyens égaux dans leur propre pays. »
« Ces attaques ciblées contre les femmes, en particulier les jeunes mères et les femmes d’âge avancé sont une façon de détruire des familles , déclare Hiram Bouteillet, du Bureau des affaires extérieures des bahá’ís de France, leurs enfants de deux ou trois ans sont souvent témoins des arrestations violentes, des fouilles, et des confiscations des biens dans les maisons. L’augmentation de cette oppression à l’égard des femmes est le signe d’une détermination à affaiblir, et anéantir la communauté bahá’íe en Iran. Mais cela conduit aussi à la destruction du tissu social iranien en général, car les bahá’ís travaillent au quotidien avec enthousiasme et détermination au progrès, à la paix et à l’éducation au sein de la société iranienne. Et évidemment, les femmes ont toute leur place dans ce processus. »
Contexte
• Le 21 octobre, 10 femmes bahá’íes d’Ispahan ont été condamnées à un total combiné de 90 années de prison, à des amendes considérables à des confiscations de biens, des interdictions de voyager et d’autres restrictions.
◦ Mesdames Neda Badakhsh, Arezou Sobhanian, Yeganeh Rouhbakhsh, Mojgan Shahrezaie, Parastou Hakim, Yeganeh Agahi, Bahareh Lotfi, Shana Shoghifar, Negin Khademi et Neda Emadi, ont été reconnues coupables des chefs d’accusation suivants : « propagande contre la République islamique » et « participation à des activités éducatives déviantes, contraires à la charia. » Les activités en question consistaient en des cours d’anglais, de peinture, de musique et de yoga, ainsi que des excursions dans la nature pour les enfants et adolescents iraniens et afghans.
◦ Dix femmes d’Ispahan, âgées pour la plupart d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, ont été arrêtées. Le mois dernier, elles ont comparu devant un tribunal révolutionnaire. Les accusations découlent de plaintes individuelles déposées par des agents du gouvernement qui ont contraint les voisins des femmes en les menaçant par téléphone d’être condamnés eux aussi.
◦ Les peines ont été prononcées en vertu de l’article 500 bis du code pénal iranien qui criminalise la liberté de conscience dans le domaine religieux. Elles ont été condamnées collectivement à 90 ans d’emprisonnement, à un total de 900 millions de tomans d’amendes (16 000 dollars), à la confiscation de leurs biens au profit de l’État, à l’interdiction de voyager et à l’interdiction d’utiliser les médias sociaux.
◦ Le tribunal a annoncé qu’un tiers des peines de 10 ans d’emprisonnement prononcées à l’encontre de Yeganeh Agahi, Negin Khademi et Yeganeh Rouhbakhsh ont été suspendues.
◦ De plus, la moitié des peines de 10 ans d’emprisonnement prononcées à l’encontre de Neda Badakhsh, Parastou Hakim, Arezou Sobhanian, Mojgan Shahrezaie et Shana Shoghifar, ainsi que quatre ans des peines de cinq ans d’emprisonnement prononcées contre Neda Emadi et Bahareh Lotfi.
• En mars et avril 2024, au moins 72 des 93 bahá’ís convoqués au tribunal ou emprisonnés, soit plus des trois quarts, étaient des femmes. Ces derniers mois, les attaques contre les femmes bahá’íes ont encore augmenté.
• À Chiraz, une mère a été arrêtée en présence de son enfant de deux ans. Une deuxième mère d’un enfant de quatre ans, à Tabriz, a été arrêtée malgré l’hospitalisation de son père en soins intensifs. Deux autres femmes, l’une à Fardis et l’autre à Urmia, ont été arrêtées par des agents des services de renseignement ; les biens de l’une ont été saisis, l’autre s’est vu refuser la liberté sous caution. Elles restent toutes deux emprisonnées sans procès.
• Dix femmes d’Isfahan, entre vingt et trente ans, ont été arrêtées et assignées en justice. Le mois dernier, ces femmes ont comparu devant un tribunal révolutionnaire, accusées de s’être rendues coupables d’avoir « promu les croyances bahá’íes » alors qu’elles avaient organisé des cours d’anglais, de musique, de yoga et de peinture pour des adolescents, des enfants et des migrants afghans. Cette accusation découle de plaintes de particuliers obtenues par des agents du gouvernement en contraignant les voisins des femmes, les menaçant par téléphone et en les convoquant au tribunal. En fait, ces dix femmes ont déjà été déclarées coupables alors que le procès n’est pas terminé.
• Vingt-six bahá’ís, dont 16 femmes, ont été condamnés à des peines totalisant 126 ans de prison, preuve que les femmes de la communauté bahá’íe continuent d’être prises pour cible.
• Six autres bahá’íes d’Isfahan ont été détenues pendant un mois en quarantaine, dans des conditions difficiles, dans la prison de Dolat Abad. Les retards délibérés dans l’accès aux soins médicaux ou à l’eau chaude, le refus d’information sur les raisons de leur arrestation illustrent la sévérité des nouvelles tactiques du gouvernement iranien à l’encontre de la communauté bahá’íe.
• Les mesures d’oppression du gouvernement iranien à l’encontre des bahá’ís trouvent leur origine dans le mémorandum de 1991 sur la « Question bahá’íe », signé par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khameini qui appelait à « bloquer le progrès et le développement » de la communauté bahá’íe. Les mesures prises à l’encontre des bahá’ís ont été renforcées par d’autres documents officiels du gouvernement ciblant les bahá’ís. Ces documents ont été révélés en 2006, 2007 et 2020, et illustrent les efforts déployés depuis longtemps pour supprimer la communauté bahá’íe.
• Le rapport d’avril 2024 de Human Rights Watch, intitulé The Book on My Neck : Le crime de persécution des autorités iraniennes contre les bahá’ís en Iran, qui établit qu’en vertu du droit pénal international, la répression systématique des bahá’ís par le gouvernement iranien depuis 45 ans peut être qualifié de persécution, ce qui constitue un crime contre l’humanité, a été largement commenté dans les médias.
• La déclaration conjointe des experts de l’ONU fait suite à la commémoration internationale de la campagne #OurStoryIsOne, lancée par le BIC en 2023 et poursuivie en 2024, pour honorer le 40e anniversaire de l’exécution de 10 femmes bahá’íes en 1983, à Chiraz, et pour mettre en lumière la violence basée sur le genre et la persécution religieuse en Iran.
• La lettre des rapporteurs spéciaux et des experts des groupes de travail des Nations unies, adressée à la République islamique d’Iran, a été signée par Alexandra Xanthaki, rapporteure spéciale dans le domaine des droits culturels ; Aua Baldé, président-rapporteur du groupe de travail de cinq membres sur les disparitions forcées ou involontaires ; Dorothy Estrada-Tanck, présidente-rapporteure du groupe de travail de cinq membres sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles ; Farida Shaheed, rapporteure spéciale sur le droit à l’éducation ; Gina Romero, rapporteure spéciale sur les droits à la liberté de réunion pacifique et le droit d’association ; Irene Khan, rapporteure spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; Javaid Rehman, rapporteure spéciale d’un groupe de travail de cinq membres sur la situation des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran ; Nazila Ghanea, rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction ; Nicolas Levrat, rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités ; Reem Alsalem, rapporteur spécial sur la violence à l’égard des femmes et des filles, ses causes et ses conséquences.
CONTACT PRESSE :
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